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Rêve libre
25 mai 2016

Le passeur

 

ROCHER 3

   Il y a bien longtemps à la croisée des mondes visible et invisible, dans une clairière balayée par les quatre vents vivait un ermite tout de blanc vêtu. Il passait ses journées assis contre un rocher à contempler le ciel en souriant, les yeux mi-clos sous ses sourcils broussailleux. 

Les habitants du village le plus proche, à trois lunes de là, lui apportaient tour à tour quelques nourritures et de l'eau claire. Le moment arriva pour Yanneck devenu assez robuste de se charger d'accomplir cette mission. Il déposa comme on lui avait dit de le faire la nourriture et l'eau claire puis rebroussa chemin sur la pointe des pieds pour ne pas déranger. Il n'avait pas fait trois pas que l'ermite l'interpella d'une ton rude :

     - "Eh ! Toi qui me vois maigre et sans force, tenaillé par la faim, est-ce là tout ce que tu m'apportes à manger ? Tu tiens tant à me voir disparaître de cette terre ? Va ! La forêt est riche de baies dont je raffole."

Yanneck terriblement confus s'empressa de satisfaire cette requête sans oser dire un mot. Dès son retour, le jeune homme plaça sa cueillette sur un grand mouchoir qu'il avait retiré de sa poche mais à peine eût-il terminé qu'à nouveau la voix sèche se fit entendre:

     - "Eh ! Est-ce là tout ce que tu laisses à boire à un vieillard qui reste assis des heures durant sous un soleil de plomb ? Tu tiens tant à me voir transformé en une coquille de noix ! Va ! L'eau de la rivière est fraîche, tu trouveras près du petit pont un seau que j'avais oublié."

Toujours confus, Yanneck se hâta de repartir sous le regard amusé du vieil homme.

Quand il revînt, l'ermite s'était radouci :

     - "Bien ! Sers toi donc maintenant, mange à ta faim, bois à ta soif pour reprendre des forces et approche toi de moi , j'ai à te parler mais auparavant, moi qui suis curieux, je voudrais que tu me montres ce qui dans ta poche tinte à chacun de tes pas."

Le gaillard s'exécuta, extirpa de sa poche un canif et une clé dorée que lui avait légués son père avant son dernier souffle. L'ermite s'en empara et tout en les frottant doucement entre ses deux mains, poursuivit :

      - "Je vois en toi une belle âme, honnête et courageuse, qui n'hésite pas à secourir son prochain, le ciel te remercie déjà pour ta bonté. J'ai toutefois un dernier service à te demander. Ce gros bloc de granit que tu vois là bas s'est détaché du rocher un jour de grand tremblement. Il obstrue l'entrée de l'abri où je me réfugie à l'approche de l'hiver. Je n'ai plus assez de force à présent pour le déplacer."

Yanneck embarrassé se grattait la tête , le bloc de granit était énorme mais le vieux si fragile !

      - "Tu ne laisserais tout de même pas un vieil homme mourir de froid ! " ajouta
l'ermite.

A ces mots, le jeune-homme retroussa ses manches, se mit en quête d'une branche bien solide pour servir de levier et se mit sans tarder à l'ouvrage. Le dos arqué, les muscles bandés, les veines saillantes, il ahanait, soufflait, suait à grosses gouttes. Tout à sa besogne, il ne vit pas le vieux sage consumé par une flamme ardente se lever d'un bond une poignée de terre à la main. Il la lança en offrande aux quatre vents, les bras tendus vers le ciel, la tête rejetée en arrière en marmonnant des paroles d'une langue inconnue. Un éclair aveuglant déchira alors les nuages et la foudre frappa le bloc de granit. Ce dernier éclata en plusieurs morceaux épargnant par miracle le jeune homme. Quant à l'ermite, il semblait ne pas avoir bougé d'un pouce.

 CC     Une fois l'entrée entièrement dégagée, Yanneck découvrit une grotte dont les parois étaient constellées de pierres précieuses. Comme il tentait de retirer l'une d'elles une pluie de cailloux dégringola juste devant la sortie. Epuisé par des heures d'efforts acharnés, de surcroît prisonnier, le jeune homme se résigna à son triste sort et s'assit. Dans la pénombre l'air était fais, le silence à peine troublé par les chuchotis d'une source lointaine. Tout au fond une lueur opalescente voletait dévoilant un passage secret. Elle s'y engouffrait pour réapparaître aussitôt. Intrigué, Yanneck se leva et la suivit. Il avançait dans un tunnel guidé par ce halo luminescent. Arrivé à un embranchement il aperçut un plan d'eau sur le côté et s'y arrêta pour se désaltérer. L'obscurité était si dense en ce lieu que la lumière s'y noya.

     Plongé dans les ténèbres Yanneck se cogna la tête et glissa dans l'eau glacée. Furieux, il se mit à pester, à jurer, à maudire le vieux. Ses jurons rebondissaient en cascade de tous côtés jusque dans les profondeurs de la grotte. Tout à sa colère il n'avait pas remarqué que l'air s'était épaissi d'une odeur nauséabonde ; dans l'eau une masse sombre s'approchait de lui à vive allure. Trop tard ! Ses chevilles étaient déjà enserrées par des tentacules visqueux qui commençaient à s'enrouler le long de ses jambes. Yanneck se débattait comme un forcené, frappait, cognait, mais plus sa rage le portait plus l'étau se resserrait.

     Quand la tête luisante de la créature surgit hors de l'eau, hideuse, les yeux rétrécis par la haine, la gueule béante, il sentit sa dernière heure arrivée et commença à prier demandant pardon à tous ceux qu'il avait pu offenser. Ce faisant, la bête lâcha prise et le balança sur la berge avant de regagner son antre. Lorsque Yanneck repris ses esprits, il trouva à ses côtés la clé reçue de son père. Elle brillait comme la flamme d'une chandelle.

 BB    Il s'éloigna à grands pas de cet endroit maudit. Il marchait depuis longtemps déjà lorsqu'il entendit d'abord un murmure puis une voix d'une douceur infinie qui chantait. Elle semblait provenir de derrière une porte en chêne massif dissimulée dans un renfoncement de la paroi rocheuse. Elle était fermée. Yanneck regarda par le trou de la serrure s'attendant à voir un ange ; c'était une jeune fille d'une pure beauté, nimbée de lumière bleutée. Fasciné par cette vision céleste il se sentit traversé de la tête aux pieds par une onde de bonheur intense, inexpliqué. C'est alors que la clé qu'il tenait toujours à la main se mit à rougeoyer. Il l'introduisit dans la serrure et ouvrit la porte.

     Au premier regard échangé il pressentit un terrible danger. Sans cesser de chanter, la jeune fille lui intima le silence d'un geste vif. Elle était assise à même le sol les pieds ligotés, un animal monstrueux à ses côtés. Yanneck, sortit le canif de sa poche, s'avança prudent. Un caillou roula, la bête s'agita, grogna un peu et enfin s'apaisa. Redoublant de vigilance, il parvint sans encombre auprès de la captive, la lame émoussée du canif trancha les liens avec une facilité singulière. C'est ainsi qu'ils s'échappèrent refermant derrière eux la porte du cachot, lui la soutenant par la taille, elle qui chantait toujours sa mélodie.

     A demi rassurés mais heureux d'être ensemble, ils pressaient le pas à la recherche d'une issue. La jeune fille arrêta de chanter pour reprendre son souffle mais oublia de recommencer. Le charme était rompu, la bête gigantesque se réveilla., s'ébroua et se voyant trahie poussa un beuglement à faire trembler les arbres de la forêt. Elle défonça la porte d'un seul coup de tête, huma les odeurs alentours et se lança à poursuite de sa prisonnière, les naseaux frémissants. Elle ne fut pas longue à retrouver les jeunes gens acculés contre une paroi blottis l'un contre l'autre. D'instinct Yanneck s'interposa entre l'animal et la belle prêt à mourir pour la sauver. La bête s'approchait, Yanneck sentait son souffle chaud.

      Subitement inspiré par le souvenir d'une mélodie, une de ces mélodies tristes et lancinantes que les hommes accablés entonnent les jours de grand malheur, il se prit à siffler. La jeune fille se glissa à son côté, une main dans la sienne et l'accompagna de sa voix envoûtante. Le molosse se mit à tourner sur lui-même, tourner, tourner de plus en plus vite. Il n'était plus qu'un tourbillon de poussière en suspension dans l'air puis mourut peu à peu ne laissant sur le sol qu'un petit tas de cendre et ce fut le silence. Yanneck ferma les yeux, inspira profondément et laissa tout son être s'imprégner de la paix qui régnait à présent dans la grotte.

  DD    Quand il rouvrit les yeux, la jeune fille s'était envolée, il ne la chercha pas. Au milieu des cendres une colombe d'une blancheur immaculée lissait ses plumes. Elle prit bientôt son envol, virevolta autour du jeune homme tant et si bien qu'il se décida à la suivre. Sur leur passage semé de paillettes étoilées, les gouttelettes d'eau tremblotaient d'émotion et les rares fougères frissonnaient de joie, même les géants de pierre figés dans roche depuis l'éternité souriaient . Des fragrances fleuries portées par une brise légère flottaient maintenant dans les airs, un rai de soleil inondait le sol d'une lumière éclatante. Un peu plus haut, s'ouvrait sur le ciel une brêche de la taille d'une homme à travers de laquelle Yanneck précédé par la colombe se faufila. Il se retrouva dans une clairière au pied d'un dolmen colossal, la jeune fille l'attendait. Elle lui tint ses propos :

      - "Je suis Ludivine, tantôt ombre tantôt lumière, je suis le miroir de l'âme des hommes. Je sillonne la terre à la recherche de ceux qui parviennent à sublimer leurs passions par simple dévouement, les alchimistes de ce monde. Tu as été choisi et mis à l'épreuve. Ton coeur est amour ton âme beauté, tu es prêt à accomplir ta destinée."

     
DOMLEN 1Ceci dit, elle invita le jeune homme à s'asseoir sous le dolmen à l'intérieur d'un grand cercle délimité par de petites pierres blanches. Elle se plaça face à lui, posa ses mains sur ses épaules et plongea son regard dans le sien. Il lui fut révélé ce qu'il devait savoir sur les mystères de la vie et comment accomplir la mission pour laquelle il avait été appelé.

Riche de ces enseignements, Yanneck tout de blanc vêtu se dirigea vers la clairière et s'installa à la place de l'ancien. Il contemplait le ciel en souriant, les yeux mi clos sous ses sourcils broussailleux. Sur un pont de brume irisée suspendu aux ailes d'un anges avançait le vieux sage. Il transportait sur son dos trois pierres de taille. Au loin le pont s'évaporait dans l'éternité. Le vieil homme disparut.

Une nouvelle lumière céleste éclairait notre terre.

Mais déjà des pas approchaient apportant quelque nourriture et de l'eau claire ...

 

Anelyne pour R.G

 






 

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